Rencontre entre un singe et un schtroumpf [ft. Elisabeth]

Il est un lieu où tu peut te rendre sans crainte d'être dérangée. Un lieu que tu apprécies pour cette tranquillité. Et où tu vas parfois pour te promener, ou même répéter à l'abri des regards. Ce lieu, c'est la forêt. Là-bas, il n'y a guère que les animaux qui risquent de croiser ton chemin. Ou bien quelques promeneurs, dont tu n'as pas besoin de te soucier. Lorsque tu ressens le besoin de te détendre, c'est souvent là que tu te rends. Te lâcher sur le net ne suffit pas toujours. C'est dans ce cas que tu fais le chemin jusqu'à la forêt.

Aujourd'hui, tu as senti ce besoin. Et c'est pourquoi tu te retrouves à marcher sur un chemin boisé. A humer les différentes odeurs de la forêt. Tu n'as encore croisé personne, heureusement. Avec un peu de chance, peut-être que tu vas trouver un point d'eau tranquille. Le son de l'eau dans ce genre d'endroit a toujours quelque chose d'apaisant. Une raison de plus pour toi de venir ici. Rien ne saurait troubler le calme de la nature. Du moins, c'est ce que tu te plais à penser.

Lorsque le liquide tombe sur toi, tu songes tout d'abord à une averse. Mais le rire qui retentit et l'odeur de thé te font comprendre que c'est autre chose. Avec un regard noir, tu lèves la tête vers la personne responsable. Et tu découvres avec une certaine surprise qu'il s'agit d'une femme d'âge respectable. Comment est-elle grimpée là-haut ? Dans ton esprit, les personnes âgées passent leur temps à se plaindre et rester immobiles. Et la femme semble trouver sa farce très drôle, comme une enfant.

Tu ne sais pas comment réagir face à elle. Crier sur une vieille femme, c'est assez mal vu. Mais il n'y a personne ici pour te le reprocher. D'autant qu'elle te semble assez en forme pour son âge.

-Ça n'a rien de drôle. Vous êtes puérile pour une femme d'un certain âge.

Tu as pris la peine de la vouvoyer. Comme quoi, même toi tu respectes un minimum les anciens.

Tes vêtements, tes cheveux, tout sent le thé maintenant. Dès que tu vas rentrer, tu vas passer à la douche. Et tes vêtements à la machine. La prochaine fois, tu penseras à te préparer avant d'aller en forêt. C'est visiblement devenu le repaire d'une mamie à l'âme d'enfant. Sa farce aurait pu t'amuser dans le fond. Si tu n'en avais pas été la victime. Tu as une sainte horreur d'être prise par surprise ainsi. D'autant plus quand celle qui commet le méfait a l'air d'avoir deux ou trois fois ton âge. Tu as toujours du mal à comprendre comment elle a pu arriver là-haut d'ailleurs.

Mamie riante descend de son arbre, de manière très naturelle. Comme si elle savait l'habitude. Décidément, ça t'échappe. Elle n'a l'air d'avoir aucune difficulté à se mouvoir. Aurais-tu une image erronée des anciens ? A tes pieds, elle te tend la main. La différence de taille est à ce moment flagrante. Si bien qu'elle se hisse sur sa canne, pour arriver à une distance plus raisonnable de ta main. Et elle te tend à nouveau la sienne. Avant de lancer le moulin à parole, d'une manière qui te fait grimacer. Tu n'as pas besoin qu'on te rappelle que tu es bleue. Quoiqu'elle ajoute que c'est joli. C'est étonnant.

Sans rancune. Tu n'es pas spécialement d'humeur à lui pardonner. Mais tu évites au moins de lui crier dessus. Ely, on dirait le diminutif de ton prénom. La coïncidence a de quoi être amusante. La petite mamie te semble être une personne joyeuse, pleine de vie. Et très ouverte. Mais ça ne colle pas à son âge. Sans son physique, tu aurais juré être face à une jeune femme à peine plus vieille que toi. Un soupir t'échappe à son sourire. Plus par politesse qu'autre chose, tu as pris sa main pour la serrer. En la relâchant rapidement. Tu rêverai d'appuyer sur le bouton off de la machine à parole.

-Que je sache je te demande pas pourquoi tu fais la gamine alors que tu as trois fois mon âge. On s'en fout que je sois bleue. Moi c'est Elisabeth sinon. Et franchement, ce serait un plaisir de profiter du silence de la forêt.

Rien ne t'oblige à lui témoigner de la sympathie. Tu ne la connais pas, et puis elle t'énerve. C'est un bon retour de bâton pour son arrosage aussi il te semble. Mamie ou pas, toi, tu ne changeras jamais finalement.

En temps normal, tu serais déjà parti. Tu n'aurais même pas pris le temps de répondre. Un regard noir, glacial, tu serais rentrée chez toi. Mais là, tu es restée. Sans trop savoir pourquoi au final. Peut-être parce que tu es curieuse à son propos. Sa mentalité contrastant avec son physique. Tout comme elle est curieuse que tu sois bleue. Peut-être aussi que c'est juste parce qu'il s'agit d'une personne âgée. Quelque soit la raison, le résultat reste le même. Tu es restée, et tu discutes un peu avec elle. Tout en essayant subtilement de la repousser. Un mélange fidèle à toi-même.

D'un coup, son attitude change. Tu as enfin l'impression de voir une vraie mamie. Ou au moins une jeune femme. Elle s'excuse pour son geste. Au moins, elle s'excuse. Tout le monde ne l'aurait pas fait, même en tort. Toi la première. Mais peut-être que tu vas enfin profiter d'un peu de calme. Puisque mamie semble être redevenue une mamie. Ely s'assoit au pied de l'arbre, comme elle peut. Un craquement sonore ne tarde pas à retentir. Ce doit être dur de vieillir visiblement. Tu n'es pas pressée de souffrir de ce genre de douleur. Ça a l'air très désagréable.

Étonnamment, elle fait attention à ne pas trop parler. Tes paroles ont eu un certaine effet, peut-être. Tu es tout de même surprise par une telle différence dans son physique. Elle a réussi à monter dans un arbre, et descendre sans trop de difficultés. Et là, rien que s'asseoir semble lui demander un gros effort. Si jamais elle a besoin d'aide par la suite, tu te sentirai mal de ne pas lui donner un coup de main. Les mamies doivent avoir un étrange pouvoir sur les gens. Même toi tu serais obligée d'aider une personne âgée. Quand bien même la chose t’ennuierait.

Oui, tu en as déjà marre de lui tenir compagnie. Mais tu te vois mal la laisser ici seule. Au cas où elle n'arriverait pas à rentrer après. Ce n'est pas ton problème pourtant. Un discret soupir t'échappe.

-Je veux bien une tasse. Enfin, à condition qu'elle n'atterrisse pas sur ma tête cette fois.

Une douche au thé, c'est bien suffisant. En cas de deuxième, tu risques bien de rentrer chez toi cette fois. Au moins, l'odeur n'est pas trop désagréable.

-Par rapport à avant... Je suis une hybride, c'est pour ça que je suis bleue. Mais j'aime autant qu'on évite de me le rappeler.

Trop de choses te sont fermées à cause de ta couleur. Tu hais qu'on te rappelle ta différence. Et tu hais tout autant devoir expliquer d'où cela vient. Le rejet t'a fait détester le fait d'être hybride. Nul doute que si tu avais été humaine, tu aurais eu une vie plus heureuse. Une mère présente. Et que tu serais aujourd'hui une étoile. Mais parce que tu es bleue, tout ça t'est refusé.

Ely te tend une tasse, que tu prend avec précaution. Pas de nouvel incident. Le thé reste à sa place. Tu souffles doucement sur la boisson, attendant qu'elle ne refroidisse. Le silence s'installe, jusqu'à ce que ta compagne ne le brise. Avec ce qui semble être un dicton. Elle a du penser à voix haute. Les paroles ne te semblent pas adressées.

De nouveau, tu vois le contraste. Ici, tu as vraiment le sentiment d'être face à une adulte, une vieille dame. Rien à avoir avec votre rencontre. La surprise doit pouvoir se lire sur ton visage. Tu es étonnée, à la fois par ce changement et par ses paroles. De ce que tu comprends, elle aussi est passée par une phase où elle ne s'acceptait pas vraiment.

Ses mots te font réfléchir. Peut-être qu'avec le temps, tu apprendras à apprécier ta différence. Peut-être lorsque les hybrides seront moins rejetés. Le retour des monstres a aidé sur ce point. Tu ne peux qu'espérer que les choses iront en s'améliorant. Mais pour l'instant, tu n'es prête à aimer ton corps bleu.

-Ce n'est pas que moi. Tout le monde n'apprécie pas voir une personne a la peau bleue. Alors c'est compliqué d'apprendre à aimer sa différence dans ce cas-là.

Tu sais que tu n'es pas la seule à souffrir de rejet. Tu ne t'en plains d'ailleurs que rarement. Ça ne servirait de toute façon pas à grand-chose.

-C'est si dur que ça de vieillir ?

Tu n'es pas pressée d'en arriver là. Les vieux ont trop de problèmes. Tu le vois rien qu'à la difficulté qu'à eu Ely à s'asseoir. Ce qui ne correspond pas avec le fait qu'elle ait pu grimper sur une branche...

-Je me demandais, comment tu es montée là-haut ? J'ai du mal à l'imaginer au vu du mal que t'as eu à t'asseoir.

Sans être vraiment amicale, tu as un peu laissé tomber la froideur. Venant même à éprouver de la curiosité à son égard. Chose presque étonnante de ta part. Toi qui d'ordinaire fait tout pour couper court aux conversations. Peut-être l'effet mamie. Peut-être parce que son attitude t'a prise au dépourvu. Tu te surprends toi-même de ta question. Jamais, ou du moins rarement, tu ne t'intéresses vraiment aux autres. Pourtant, ici, tu ressens une véritable curiosité. Cette rencontre laissera définitivement une impression étrange à ton esprit. Une étrange rencontre avec une mamie enfantine.

Peut-être qu'un jour tu réussira à accepter qui tu es. Le jour où le monde t'acceptera. Où au moins une personne t'acceptera ainsi. Oui,  il suffirait d'une seule personne. En qui tu as toute confiance, dont tu crois les paroles. Si tu pouvais rencontrer cette personne, peut-être que tu aurais moins de mal avec ta peau bleue. Tu te regardes rarement dans un miroir, pour éviter de la voir. Sans cette couleur de peau, tu serais déjà une étoile. Alors qu'aujourd'hui, tu dois encore te contenter de simples cours, de répéter chez toi. Et ça te frustre, ça ne te suffit pas. Ça ne te suffit plus.

Tu n'es pas pressée de souffrir des articulations, comme les vieux. Mais les paroles d'Ely trouvent tout de même des bons côtés à vieillir. Bons côtés qui te font presque reconsidérer ton point de vue. De la sagesse et la maturité. En contre-partie d'avoir un corps moins fonctionnel. Une chose te rend légèrement envieuse de sa situation. Avec des rides et des cheveux blancs, peut-être que les gens se focaliseraient moins sur ta peau bleue. Mais tu as encore du temps avant d'en arriver là. Et tu n'es pas pressée. Vieillir, ça veut dire devoir renoncer à la danse. Chose qui aujourd'hui te paraît impensable.

Un très léger sourire apparaît sur tes lèvres. Elle se décrit comme tu la vois. Tu arriveras presque à lui trouver un petit côté attachant à la mamie. L'incident du thé semble oublié. Au détail près que des relents d'odeur se dégagent encore de toi. Ely se relève pour s'étirer. A ta question, elle ne se contente pas de répondre. Après tout un exposé, elle t'offre une démonstration de ses dires. Montant avec une certaine agilité, ses tes yeux surpris. Même en connaissant ses forces et ses faiblesses. Même en sachant où s'accroche. Tu trouves toujours la chose étonnante de la part d'une vieille femme.

Ton regard se promène un peu sur le tronc. Tu repères les aides dont a parlé Ely juste avant. Le creux, la branche. Rapidement, tu établis un parcours pour monter. Sous son regard, tu commences à grimper. Moins vite qu'elle, avec un peu moins d'assurance. Mais tu finis par la rejoindre sur sa branche. Et tes yeux observent le paysage depuis là-haut. C'est une vision différente de lorsque tes pieds sont au sol. Tu peux comprendre que mamie aime bien se percher ici.

-C'est joli vu d'ici. C'est pour la vue que tu montes ? Ou pour la satisfaction d'arroser les gens ?

Tu n'as pas encore oublié. Mais cette fois, c'est presque dit sur un ton taquin. Presque. Sans avoir percer le bloc de glace, mamie à réussi à le réchauffer. Elle ne peut pas se rendre compte qu'elle est presque une privilégiée sur ce point. Quelque part, peut-être qu'elle te rappelle ta propre grand-mère.

-Je reste toujours surprise. Ça paraissait trop simple pour toi de grimper. Même moi j'ai eu un peu de mal.

Il semble que tu t'obstines à chercher ce qui ne va pas chez elle. Même face à une pauvre mamie, tu tentes de lui trouver des défauts. Elle est gentille pourtant. Si on omet le thé un peu plus tôt. Tu pourrais presque l'apprécier. Peut-être lors d'une prochaine rencontre. Tu essayera de te montrer plus sympathique. Tu ne dis pas que tu va réussir. Mais essayer, c'est déjà beaucoup pour toi.

Tu dois bien l'avouer, la vue est très belle de là-haut. Il y a beaucoup à observer d'ici. C'est un endroit que tu retiens. Si un jour tu as besoin de te changer les idées. Tu viendra remonter à un arbre, en suivant les conseils de Ely. Tu as repérer comment faire maintenant. Il suffit de trouver les quelques prises plus simples. Mamie t'aura au moins appris une chose utile aujourd'hui.

Ses paroles t'étonnent. Tu avais un doute certes. Mais tu n'étais sûre de rien jusque là. Elle te le confirme elle-même. C'est une hybride, comme toi. Sauf que tu n'arrives pas à voir ce qui la différencie d'une mamie normale. Tu lui aurais bien demandé, mais ce n'est pas le genre de question qui se pose. Mamie t'apparaît d'un coup un peu plus sympathique. Forcément, elle est comme toi. Et puis une hybride de cet âge-là, ça force le respect.

Comme toi, sa mère a du l'abandonner. Pourquoi la chercher encore ? A son âge, sa mère ne doit plus être de ce monde. Encore un détail qui te titille. Et ça explique son habitude de grimper aux arbres. Si elle fait ça depuis toute petite, rien d'étonnant à ce qu'elle soit douée. Ça doit l'aider à garder la santé également. Le sport, c'est toujours bon. Quel que soit son âge. Tu es bien placée pour le savoir, toi qui en fait presque quotidiennement.

Un fin sourire étire tes lèvres. C'est sûrement la danse qui t'a aidé à grimper si facilement. Depuis le temps que tu pratiques cette activité... Ce n'est pas vraiment un secret qu'il s'agit de ta passion.

-Je fais de la danse depuis à peu près dix ans. C'est ça qui doit aider.

Les détails continuent à tourner dans ta tête. C'est sans aucun doute très indiscret de lui demander cependant. Tu préfères ne pas t'aventurer sur ce terrain. Tu risquerai de dire une bêtise avec ta finesse. Sans un mot, tu te redresses un peu pour t'étirer.

-C'était bien sympa mamie, mais je vais devoir rentrer, mais on se reverra peut-être une fois autre fois.