Normal day in the life of.. [Bleuwenn]

Khalil se réveilla de bonne humeur ce jour-là. Dormir dans les bras de quelqu'un, ça faisait ça.
"Je dois y aller." La personne agita la main et il envia ces gens qui ne se réveillent pas tôt pour travailler.
Il dut quitter le confort de la couette, essayer de spotter la salle de bains, et se brosser les dents avec le doigt en regardant l'état lamentable de ses cheveux.
Mais c'était bien, le temps d'une matinée, de prétendre vivre dans un monde tout à fait normal.
Il remit ses habits de la veille, légèrement chiffonnés mais sentant toujours son eau de Cologne citronnée.
Il remonta la capuche de sa veste sur ses cheveux et quitta à regret l'appartement, essayant de s'orienter.
Ses pas méfiants le menèrent à la mercerie qu'il tenait pour sa tante. Il n'y avait pas beaucoup de clients, peut être dix par jour, et ça l'arrangeait pas mal pour travailler sur tous les autres projets qu'il entreprenait. C'était comme une deuxième chambre pour lui, et il cachait même un sac de couchage pour les jours où il avait vraiment la flemme. Tant qu'il y avait des toilettes, Khalil pouvait se débrouiller n'importe où.
Il prit de quoi petit déjeuner dans le café adjacent et entreprit d'ouvrir la mercerie.
Il fut bien vite installé au bureau, de la musique tranquille et de la lumière emplissant les coins boisés de la pièce.
Une si belle journée; qu'est-ce qui pourrait mal se passer?

Khalil entreprit de répondre à ses mails les plus urgents en sirotant son thé, et en signalant victorieusement les spams qu'il recevait. Prends ça, prince nigérien!
Une journée calme en tout et pour tout. Sa suivante destination fut son blog, où toutes ses pensées allaient. C'était apaisant, de se vider le cerveau. Et parfois, même, les commentaires étaient intéressants!
Parfois. Il ne fallait jamais trop y compter.
La clochette annonçant un client sonna, et il baissa légèrement son écran pour être poli. "Bonjour et bienvenue..."
Le client était gigantesque. Bon, ça, ça allait encore, mais les ailes, les crocs, oreilles (????), yeux (??!!!), non!
Khalil sentit son visage pâlir à en rivaliser avec celui du monstre qui venait d'entrer dans sa mercerie.
On avait encore arraché la feuille qu'il attachait soigneusement à la porte, n'est-ce pas? "Nous ne servons pas les monstres"? C'était ça, ou les monstres ne savaient pas lire. Il aurait du y penser! Ajouter un dessin!
Son deuxième réflexe, bien sûr, fut de se lever beaucoup trop vite et de tomber en arrière avec sa chaise, explosant son genoux contre le coin de la table. Heureusement, son premier a été de soigneusement poser son ordinateur sur le bureau au lieu de sur le dit genoux, anticipant sa réaction.
Et tout cela accompagné d'un cri étranglé.
Il serait embarrassé s'il n'y avait pas un monstre terrifiant devant son bureau.
Couché par terre avec sa chaise, il envisagea ses options. La fuite était impossible, le monstre bloquant sa seule issue. Il pourrait se cacher sous le bureau et prétendre avoir disparu, mais il n'était pas certain de berner le démon, ne savait pas si la permanence de l'objet faisait partie de leur développement.
Lui restait la confrontation.
Il se redressa, se démêlant de sa chaise, et passant la tête par dessus le bureau.
Nope, toujours là.
Il ne savait pas s'il ferait le poids.
"Vous voulez quoi exactement?" fit-il finalement, caché sous le bureau.

Khalil posa le nez sur le bord du bureau, offrant au monstre son air le plus désapprobateur. Ses mains tremblaient et il les essuyait répétitivement contre son jean, les pensées allant à cent à l'heure mais tournant en rond autour d'une seule idée, fuir. Fuir maintenant. Fuir comment? Et le monstre avait l'audace de prétendre être confus.
"Oh, hum. Bonjour?" Ses dents étaient beaucoup trop pointues et Khalil sentait son visage se refroidir à la seconde. Il ne pouvait qu'imaginer ce que des dents pareilles pouvaient faire. Imaginer un peu trop vivement.
"Je m'appelle Bleu!" Khalil fut déstabilisé par les présentations. Etait-ce une ruse? La chose voulait-elle son nom pour un le maudire?! Que lui voulait-elle, à lui, réellement? Il n'avait rien fait! Juste insulté les monstres un peu beaucoup sur son blog. Tout le monde fait ça! ... Non?
"Je voudrais me faire des amis! Et aussi faire les courses. C'est bien une boutique, ici, non?"
Aha! Finalement une idée de ce que le démon faisait là! Khalil le fixa quelques secondes, essayant d'assimiler la réponse sans trop de réussite. Son souffle et son coeur en pleine accélération, il essaya de rester aussi calme que son adversaire.
"Des amis. Euh, des amis." Oui, Khalil, des amis, "Des courses?" C'était comme s'il venait de se rendre compte qu'il tenait une boutique, au regard qu'il lançait autour de lui à la recherche d'un sauveteur, "... On a pas d'amis pour les monstres, ici." fit-il finalement avec tout le courage qu'il avait en stock. Sans courage, maintenant, il ne lui restait plus que son auto-pilote, ".. Mais on a des pinces je suppose? Et des aiguilles. Dangereuses. Très."
Il espérait que ce soit menaçant. Plus que sa position de défense où seuls ses yeux terrifiés dépassaient.

Mais ce n'était pas lui qui était menaçant, c'était la chose. Avec son sourire des plus pointus, et son regard perçant et mauvais. Le blanc de ses yeux était noir, ses iris jaunes. Ce n'était pas normal et ça lui retournait le ventre. Khalil ne se sentait pas bien et regrettait un peu (beaucoup) son agressivité. Il voulait que le démon parte, loin, vite!
"Oh, non non non, je ne veux pas acheter des amis!" assura celui-ci, troublant l'humain qu'il terrifiait.
Oh. Le démon n'avait pas compris ses paroles. Il n'avait pas compris. Il continuait, lui expliquant comme si Khalil l'avait mal compris:
"Je parlais juste de façon générale, ça n'est pas ce pourquoi je suis ici... Enfin, J'aimerais quand même m'en faire mine de rien? Mais pas les acheter? C'est mauvais.."
C'était un jugement avec lequel Khalil pouvait être d'accord. Malgré lui, quelque part, il avait l'impression que le monstre était... naïf.
C'était une pensée étrange qu'il tenta de repousser directement. Un monstre n'est pas naïf, un monstre essaye de lui faire baisser sa garde! Pourquoi est-ce qu'il aurait ces dents, sinon, ces yeux, pourquoi est-ce qu'il essayerait d'envahir son monde, sa boutique!?
"Je, uh, cherche des ampoules? À acheter. C'est pour mon salon de thé!" fit le monstre, comme s'il répondait aux questions qui tournaient dans la tête de Khalil. Un salon de thé. Son salon de thé. Ils laissaient les monstres ouvrir leurs propres entreprises, c'était vrai, et complètement fou.
Khalil se fit violence en se redressant sur des jambes tremblantes. Il aurait voulu cacher sa peur, ne pas sursauter au moindre mouvement fait par le monstre. Il aurait voulu pouvoir le mettre dehors. C'était le genre de personne qu'il aurait voulu être.
Mais la peur le paralysait et il sentait la panique monter. Ce n'était pas le moment de faire une attaque, pas du tout, il fallait que la chose parte.
"Ampoules, comment?" fit-il finalement, la voix rauque, "Simples? Des guirlandes?.." continua-t-il, presque inaudible, la respiration lourde.
D'une main tremblante, il pointa un coin du magasin où le monstre trouverait peut être ce qu'il voulait.